jeudi 14 avril 2016

Bill Viola et la référence à la peinture

Pionnier de l’art vidéo, Bill Viola est un peintre qui a inventé une nouvelle palette de couleurs technologiques et numériques pour créer des tableaux en mouvement qui s’inscrivent dans une histoire de l’art singulière où l’on croise les plus grands maîtres, de Goya à Giotto, en passant par Jérôme Bosch.
L’itinéraire de son oeuvre est aussi une odyssée artistique et technologique.
(source Grandpalais.fr)

Bill Viola et sa compagne Kira Perov (Photo courtesy of Bill Viola Studio), on remarque les reproductions sur les murs

The Passions est le fruit des recherches menées par B.Viola en 1998 à l’initiative de Salvatore Settis,
alors directeur du Getty Research Institute, qui lui proposa d’explorer la représentation des passions. Les
différentes oeuvres du cycle mettent en scène la façon de représenter l’apogée des émotions:The Quintet
Series(The Quintet of the Astonished,The Quintet of Remembrance,The Quintet of the Silent,The Quintet of the Unseen) (2000),Dolorosa (2000),Anima(2000),The Locked Garden (2000),Six
Heads (2000), Memoria (2000),Union (2000), Witness (2001), Man of Sorrows (2001), Unspoken (2001), Mater(2001), Four Hands (2001), Catherine’s Room (2001), Silent
Mountain (2001), Surrender (2001), Five Angels for the
Millenium (2001) , Emergence(2002), Observance (2002).

Bill Viola, The Quintet of the Astonished, 2000
 "Passion provient du latin patior, pati, et homonyme grec pathos, signifiant la souffrance, le
supplice, état de celui qui subit, passivité. Elle est différente des connotations actuelles populaires
de la passion qui sont associées à la romance et qui la font généralement voir en tant qu'émotion
de joie. La notion philosophique, en contraste, est identifié par des états émotionnels
biologiquement perçus comme lacolère, la luxure ou autres des sept péchés capitaux.
En tant qu'état dans lequel un objet subit l'action d'un autre, par opposition à la réaction, la
passion désigne une des dix catégories que distinguait Aristote, dans son traité des Catégories.
Pour certains stoïciens, les passions sont des perversions de la raison, au sens étymologique, des
égarements de notre jugement qui nous écartent de nos devoirs naturels. Ainsi d'après Cicéron,
Zénon de Cittium, fondateur du stoïcisme, affirmait que « la passion est un ébranlement de l'âme
opposé à la droite raison et contre nature » (Tusculanes).
L'idée de « passion de l'âme » désigne, pour Descartes, dans son Traité des Passions, les
affections ou changements internes que subit l'âme sous l'impulsion du corps. Ainsi il déclare
dans la Lettre à Élisabeth du 6 octobre 1645 que l'« on peut généralement nommer passions
toutes les pensées qui sont […] excitées en l'âme sans le secours de sa volonté, et par conséquent,
sans aucune action qui vienne d'elle, par les seules impressions qui sont dans le cerveau, car tout
ce qui n'est point action est passion ». La passion la plus fondamentale est selon lui
l’admiration (l'étonnement)." (source wikipédia)

Agésandros, Polydoros et Athénodoros, Laocoon, c. 40 av. J.-C.. Rome, Musée duVatican
Bill Viola, Dolorosa, 2000
 Parmi les instruments dont B. Viola s’est servi durant ces années, il faut mentionner les dessins réalisés
par Charles Le Brun en 1698 pour illustrer L’Expression des Passions ainsi que l’ouvrage de Charles
Darwin L’Expression des Émotions chez l’Homme et chez les Animaux(1872) et l’essai que Jennifer
Montagu rédigea en 1994, The Expression of the Passions. The Origin and Influence of Charles
Le Brun’s “Conférence sur l’expression générale et particulière”.

Charles LeBrun, Etude d'expression: la rage, XVIIeme s Paris, Musee du Louvre

Les expressions des passions de l'âme gravées d'après les dessins de Le Brun 1727

Bill Viola, Six Heads, 2000

Parmi les tableaux qu’il a observés avec attention et à plusieurs reprises lors de sa recherche, il cite l’Annonciation de Dieric Bouts (1450-1455) et L’Adoration des Mages de Mantegna (c. 1495-1505). 

Dieric Bouts , l’Annonciation, (1450-1455)

Andrea Mantegna, L’Adorationdes Mages, c. 1495-1505. Huile sur toile, Los Angeles, J. Paul Getty Museum
Bill Viola, The Quintet of the Astonished, 2000

The Quintet of the Astonished doit beaucoup à cette dernière oeuvre et renvoie également à un second tableau, le Christ aux Outrages de Hieronymous Bosch (1490-1500). 
Devant ce tableau, il prend note :

Quintet of the Astonished : regroupement étrange mais soigné, rapport
horizontal, prises de vues accélérées, éclairage délicat, vestiaire par
types de caractère, le Christ aux Outrages de Bosch à la National
Gallery de Londres : émergent en surface des émotions et des relations
changeantes. Chacun déploie un éventail d’émotions conflictuelles
allant du rire aux larmes, filmé avec des prises de vues accélérées, vu
en haute définition, originaire, hyperréel. Les émotions vont et viennent
si graduellement qu’il est difficile de dire où commence l’une et où
disparaît l’autre. Les relations entre les figures deviennent fluides et
changeantes.


Bosch, le christ aux outrages, 1500
Bosch, le christ aux outrages, 1500


Le lien entre les vidéos de The Passions et certaines oeuvres de la peinture européenne du
xve au xvie siècle a été ramené par S. Settis à des critères tels que le format, le choix du sujet, la
représentation du mouvement. On voit le premier critère en action dans Catherine’s Room, qui fait
référence à Sainte Catherine de Sienne et Quatre soeurs du Tiers-Ordre Dominicain d’Andrea di Bartolo (c. 1393-1394), dont il réutilise la forme de la prédelle.

Bill Viola, Catherine’s Room, 2001

Andrea di Bartolo, Sainte Catherine de Sienne et Quatre Soeurs du Tiers-Ordre Dominicain, 1393-1394. Tempera sur panneau, Murano, MuseoVetrario

Le second critère est visible dans Emergence qui reprend le sujet et la structure dramaturgique de la Pietà de Masolino (1424).

Bill Viola, Emergence, 2002



Tommaso Masolino da Panicale,Pietà, 1424. Fresque, Empoli,Museo della Collegiata diSant’Andrea

 Maso Di Banco - Mise au tombeau -1335 Fresque - Florence
 Roger Van der Weyden - deposition de la croix -1435, huile sur bois 220 x 262 cm Musée du Prado Madrid

 Fra Angelico - Mise au tombeau1438 Fresque - Vatican
On retrouve le troisième dans The Greeting, l'oeuvre qui renvoie à la Visitation de Pontormo (1528-1529).
Bill Viola, The Greeting, 1995

Pontormo, Visitation, 1528-1529. Huile sur bois, Carmignano, église de San Michele


Une autre étude,Four Hands, lui fut suggérée par une planche représentant des mains datant de la même
période, elle aussi reproduite dans le livre de V. Stoichita : quatre paires de mains – d’enfant, de femme,
d’homme, de femme âgée – projetées sur quatre écrans distincts et disposées en enfilade alors que
chacun accomplit différentes séquences de gestes.

Bill Viola, Four Hands, 2001


Il est vrai que dès les premières vidéos, il adopte des solutions figuratives qui sont semblables à celles de
la production picturale européenne. J’en citerai quelques exemples éloquents : dans Sweet Light (1977),
la boule de papier blanc chiffonné et jetée par terre d’où surgit une phalène et sur laquelle la caméra fait
un zoom rappelle les roches peintes par Giotto, artiste cité et apprécié par le vidéaste dont il dit avoir
appris le rapport entre l’irréalité figurative et la réalité intérieure du spectateur.

Bill Viola, Sweet Light, 1977 – photogramme

Giotto
Nous retrouverons la même forme de montagne hyperréelle au centre d’une longue séquence de Hatsu-Yume First Dream(1981) pendant laquelle le bloc rocheux, dans sa fixité, s’impose par rapport aux individus qui, luttant péniblement contre le vent, se déplacent autour de lui. Dans la séquence qui suit, la prise de vue
floue d’une surface rouge et blanche ondoyante – nous comprendrons qu’il s’agit d’un poisson dans
l’eau quand finalement la mise au point de l’image sera faite – reproduit précisément l’impression de
flottement des drapeaux français de La Rue Montorgueil (1878) de Monet.

Bill Viola, Hatsu-Yume First Dream, 1981 

Claude Monet, La Rue Montorgueil à Paris. Fête du 30 juin 1878, 1878. Huile sur toile, Paris, Musée d’Orsay
Dans I do not know what it is I am like (1986), la table en bois dressée avec un verre à pied bordé d’or, une carafe en verre travaillé et à moitié pleine de vin blanc, un poisson cuisiné et servi dans un compotier en argent, un oignon blanc, un rouge, une gousse d’ail et un morceau de pain, un drapé sombre sur le fond renvoient sans ambiguïté aux natures mortes baroques.

Bill Viola, I do not know what it is I am like, 1986

Willem_Claesz Heda, still life, 1634 

Unknown (Dutch) Still Life with Copper Pot and Fish 17th century
On pourra aussi parfois trouver des références à la sculpture comme ci-dessous.

Bill Viola, Silent Mountain, 2001
Michel-ange, esclaves, sculpture sur marbre, Renaissance italienne

Source principale du document :
Bill Viola ou l’image sans représentation, Chiara Cappelletto

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